Benoît Fillaquier
RENCONTRES VIGNERONNES
Benoît Fillaquier
Interview de Benoît Fillaquier, directeur de la cave coopérative Terre d’Expression
Benoît Fillaquier, directeur de la cave coopérative Terre d’Expression, à Fabrezan, nous parle de ses coups de cœur : le petit « Maniac » bio, le zéro CMR, les Fortes Têtes – ces vignerons dont l’obstination a carrément baptisé le vin – et le Festival à Rosé qu’on ne loupera sous aucun prétexte l’an prochain. Une belle énergie qui s’exprime !
A quand remonte la création de la cave coopérative ?
La cave a été créée en 1932 et s’est étoffée au fil des ans à travers des absorptions successives : Fontcouverte et Ribaute en 1993, puis Serviès et Montlaur en 2007. Aujourd’hui, elle est construite autour d’une trentaine de communes, compte 170 adhérents et 1500 hectares de vignes.
La cave a-t-elle subi des modifications au fil des ans ?
Sur le plan technique, elle a très peu changé car dès le départ, elle a été conçue avec de grandes travées, et tellement spacieuse que l’on n’a jamais eu besoin de la remodeler. On est encore surpris aujourd’hui de son aspect originel ! En revanche en 2010, il y a eu de grands changements, à commencer par notre nom : nous avons créé la marque Terre d’Expression. Un nom fédérateur, qui a fait suite à la fusion avec Serviès et Montlaur (2007). Notre nom traduit fidèlement notre but : nous revendiquons l’expression de notre territoire et de nos valeurs.
Quels sont les vins de Terre d’Expression ?
Dans la foulée, nous avons imaginé une véritable palette représentative du territoire des 32 communes couvertes par nos vignes. Elle comporte 11 références classées en plusieurs gammes qui expriment chacune une facette de notre identité. L’Expression Libre met l’accent sur les cépages, l’Expression de Caractère propose la cuvée Fortes Têtes dans les 3 couleurs, tandis que Haute Expression offre 2 cuvées rouges de terroir (Lagrasse et Serviès). Et sur l’Exception Culturelle, on travaille des crus, comme Boutenac par exemple.
Certaines cuvées sont-elles bio ?
C’est le cas de notre petite dernière, sortie en 2017. Une petite pépite qui a pris 94% au Falstaff (le guide de référence des vins bios commercialisés en Allemagne) ! Vraiment on a eu un gros coup de cœur pour ce vin très moderne et savoureux, à la fois structuré et ultra fruité. On lui a donné un nom qui souligne le côté « affect » qu’on ressent avec notre petit dernier : le Maniac J.
Qu’est-ce qui vous motive pour faire du bio ?
On avait terriblement envie de travailler des vins sans soufre. Le Maniac est donc un vin bio sans soufre, dans l’esprit nature. Le processus de vinification, très spécifique, permet ne pas recourir au soufre. On en ajoute juste une dose infinitésimale lors de la mise en bouteille. C’est pour ça que sur l’étiquette, il est écrit « vin vinifié sans soufre ».
Quelle est la part de vos adhérents qui travaillent en bio ?
Aujourd’hui, nous comptons 3 agriculteurs engagés en agriculture biologique, dont Daniel Coste, qui cultive un vignoble merveilleux, bio depuis toujours, et vendange la majeure partie à la main. D’autres sont en conversion et rejoindront bientôt l’équipe.
Et le reste du vignoble ?
Il est déjà HVE 3 à 100%, et je suis fier de préciser qu’il est « 100% zéro CMR » - un engagement unique ! Tous les produits phytosanitaires sont classés selon leur toxicité. « CMR » veut dire Cancérigène, Mutagène et Reprotoxique. On a fait le choix ambitieux de bannir tous les produits CMR ! Du coup, tous nos vignerons qui ne sont pas en bio en sont quand même proches… Nous avons aussi recours à la confusion sexuelle pour lutter contre le ver de la grappe, ceci sur la totalité de la commune de Fabrezan.
« Maniac » est un mot occitan… Quel sens cela a pour vous ?
Nous revendiquons l’Occitanie. Ici, nous sommes créateurs de vins occitans. Cela correspond à notre stratégie. Pour être bien chez les autres, il faut être bien chez soi. Alors nous voulons d’abord exister chez nous, en Occitanie. Du coup, est apposée sur nos bouteilles une contre-étiquette écrite en français et en occitan.
Parlez-vous occitan ?
Je le comprends mais ne le parle pas… Mon grand-père, lui, le parlait !
Que faites-vous d’autre pour exister chez vous ?
Nous avons créé un festival : le Festival à Rosé, nommé ainsi dans un esprit festif, et en place depuis 6 ans. Il répond aussi à une volonté de fédérer nos jeunes coopérateurs autour d’un événement.
Pourquoi avoir axé votre festival sur le rosé ?
L’Occitanie a véritablement une carte à jouer sur l’élaboration des rosés. Le rosé a le vent en poupe : il offre un accès aux jeunes consommateurs, et tend à fédérer les gens.
A quoi ressemble le Festival à Rosé ?
L’entrée est « All Inclusive » : repas, concert, etc. Seul le vin est payant, car c’est ce qui nous fait vivre ! 1500 personnes se réunissent devant la cave et sont servies à volonté. Autant vous dire qu’il s’agit d’un énorme défi technique. Les vignerons de la cuvée Fortes Têtes rosé passent derrière le bar et ce sont eux qui servent les festivaliers !
En quoi le festival est-il spécifiquement occitan ?
Cela se passe du côté de la création artistique. Chaque année, un artiste auteur-compositeur de la région Occitanie est invité pour donner un concert. C’est un festival franchouillard et très festif, mais qui a du sens pour nous car on valorise de jeunes artistes du territoire.
Comment financez-vous le festival ?
Nous sommes bien accompagnés par les entreprises locales. On peut compter sur une soixantaine de partenaires ! Comme on a senti qu’ils étaient plutôt investis, on a créé des événements parallèles rien que pour eux : les journées Business à Rosé ! On les met tous ensemble, dans un bouillon de culture, pour qu’ils puissent « réseauter ». Ils arrivent à midi, à 14h ils s’en vont. Dans ce cadre concis et efficace, ils viennent manger chez nous comme ils se rendraient à un déjeuner d’affaires.
Et le prochain Festival à Rosé ?
Au mois de juin 2021 !
Quel est le profil de la vedette du Festival à Rosé - le rosé Fortes Têtes ?
C’est une cuvée de la gamme Expression de Caractère, qui existe dans les 3 couleurs. Le rosé, lui, est typé Grenache-Cinsault-Syrah, vraiment dans l’expression de Corbières. C’est un rosé très pâle, et plutôt floral que fruité. On cherche la rondeur et l’élégance. Un vin sympa en somme, qui reflète l’obstination de nos vignerons à surmonter tous les tracas viticoles, météorologiques ou de filière… Cette cuvée est un hommage à nos vignerons têtus qui passent des moments parfois très difficiles - nos « fortes têtes » !
Enfin, pouvez-vous nous dire un mot de votre parcours ?
Je suis de Carcassonne, ingénieur agronome. Après un passage par les États-Unis, je suis rentré en France où j’ai d’abord travaillé dans le Gers, avant de revenir au pays pour me lancer comme ingénieur agronome à la chambre de l’agriculture. Puis j’ai pris la direction de la cave coopérative de Roquefort des Corbières, et passé quelques belles années là-bas dans ce territoire de Mourvèdre, alors qu’ici chez Terre d’Expression, dont je suis le directeur depuis 2007, on est sur un territoire de Carignan. Donc ça fait déjà 17 ans que je suis directeur de cave coopérative dans les Corbières !