Etienne Besancenot
RENCONTRES VIGNERONNES
Etienne Besancenot
Interview d'Etienne Besancenot du Château de Caraguilhes
Depuis son arrivée au Château de Caraguilhes en 2007, Etienne Besancenot a peu à peu hissé les vins du domaine au rang qu’ils méritent : parmi les meilleurs des Corbières. Aujourd’hui directeur du domaine, cet amoureux de la vigne nous fait des confidences sur la manière dont il vit son métier de vigneron.
Comment avez-vous rejoint le Château de Caraguilhes ?
Le propriétaire du château, Pierre Gabison, marchand de luminaires à Hong-Kong, a racheté le domaine en 2005. Pour ma part, après des études d’agronomie et œnologie entre Paris et Montpellier, j’avais envie de m’installer au bord de la Méditerranée. C’est en 2007 que j’ai rejoint le navire en tant que maitre de chai, tout en sachant que le domaine était en assez piteux état.
De quoi le domaine avait-il alors besoin ?
Le domaine était en viticulture bio depuis 30 ans. Mais le matériel n’étant pas adapté, le vignoble avait vieilli prématurément. Avec l’équipe, nous nous sommes donc attelés à la réhabilitation du château et des vignes.
Quelle est aujourd’hui la production du domaine ?
Elle se situe aux environs de 500 000 bouteilles, pour un domaine de 85 hectares en production, le tout dans les environs directs du château. Sur ces 85 hectares, 70 sont en Corbières et 15 en Boutenac.
Les cépages survivent-t-ils bien aux périodes de sécheresse sur le terroir ?
Si nous considérons l’année 2017, tout s’est bien passé car l’hiver pluvieux a permis de bien reconstituer les réserves d’eau. Et nous avons des sols qui savent la redistribuer avec parcimonie en été. 2016 a été une année plus délicate, pour la syrah surtout. C’est le cépage qui montre le plus de symptômes sur des terres limitantes : il pousse très rapidement au printemps, puis se met à transpirer, et c’est là qu’il peut souffrir du manque d’eau. Le carignan demeure, pour sa part, mieux adapté au climat : il pousse plus raisonnablement au printemps, et transpire moins car il a la capacité de fermer ses stomates, ces petits orifices par lesquels la feuille respire. On peut dire que c’est le cépage le mieux adapté aux conditions sèches difficiles.
Trouvez-vous difficile de travailler la vigne dans ces conditions climatiques ?
Oui et non… Le vent a également un impact considérable sur la vigne. Or, nous bénéficions de la tramontane, vent assez sec qui produit naturellement un effet anti-mildiou. C’est là une des raisons pour lesquelles le bio est particulièrement sain dans cette région. Le vent fort au printemps peut être difficile à gérer car il peut provoquer beaucoup de casse sur jeunes rameaux.
Quelle est la composition de votre équipe ?
Nous sommes 12 permanents, mais l’effectif monte à 25 personnes en ce mois de mai. Si nous n’étions pas en bio, 15 personnes feraient sûrement l’affaire. Mais rien que pour désherber en ce moment, nous employons 7 personnes !
A combien estimeriez-vous le surcout du bio ?
Rien que le désherbage manuel que nous réalisons nous coûte environ 25 000 euros par an. En globalité, le bio implique un surcoût d’environ 20%.
Le cahier des charges bio est-il donc si contraignant ?
Il interdit l’usage d’herbicides, d’insecticides et de tout produit issu de synthèse chimique. Nous avons le droit au cuivre contre le mildiou, en pulvérisation, et au soufre contre l’oïdium, un autre champignon assez répandu dans la région. Pour lutter contre le botrytis, une troisième variété de champignons qui peut apparaître à l’approche des vendanges, quand le raisin présente une forte concentration de sucre, nous sommes obligés d’effeuiller manuellement pour aérer les grappes, et même d’enlever certaines grappes pour éviter qu’elles se touchent entre elles. Alors oui, le bio exige beaucoup de prophylaxie !
Utilisez-vous des techniques bio particulières ?
D’octobre à juin, nous hébergeons un berger qui fait paitre ses 150 brebis sur le domaine, nos plantations de luzerne servent à nourrir les brebis le reste de l’année, et nous utilisons le fumier des chèvres du voisin. La culture de la luzerne, que nous laissons 5 ans dans le sol, permet d’enrichir les sols en azote. Puis nous plantons une céréale, et enfin la vigne. En tout, nous laissons reposer la terre 7 ans. Depuis 2015, nous recourons même à certaines pratiques de biodynamie sur nos parcelles en Boutenac, à travers des tisanes et préparations spéciales telles que la bouse de corne pour la régénération des sols et la corne de silice pour la structuration de la plante.
Vos vins rosés sont très cotés. Représentent-ils une part importante de la production ?
Historiquement, le rosé occupe 40 à 50% de la production totale du château de Caraguilhes. Nous exportons beaucoup vers la Suisse car les Suisses sont très friands de vin bio, et il se trouve que notre mode de production respecte les critères du cahier des charges bio suisse, qui intègre des notions sociales et écologiques spécifiques.
Quelle est la part de la production consacrée à l’export par rapport à celle réservée au marché français ?
Nous exportons à ce jour près de 75% de notre vin – essentiellement vers l’Europe, les Etats-Unis et Hong-Kong – mais souhaitons augmenter la part distribuée en France (25% aujourd’hui) et employons à cet effet Benjamin, dédié à 100% au développement du marché français. Il se trouve que la France est un marché assez réactif, qui exige de nous une plus grande créativité, au niveau de l’habillage notamment. Mais le jeu en vaut la chandelle car quand on conquiert des consommateurs en France, on crée un véritable actif. Et cela permet aussi de créer de l’image, dont nous avons un besoin crucial dans l’univers du vin.
A votre avis, comment pourrait-on améliorer encore la qualité des vins de Corbières ?
Globalement, les matières premières qui entrent en cave dans les Corbières sont d’un très bon niveau. Nous devrions cependant faire preuve de plus de rigueur sur le plan de l’élevage des vins, notamment sur la maitrise de l’élevage en bois et l’affinage du vin en général. Les œnologues conseils qui tournent dans la région ont un important rôle à jouer. En effet, on goute souvent des vins jeunes très bons, et on est déçu un an après…
Que trouvez-vous le plus difficile et le plus beau dans votre métier de vigneron ?
A mon sens, le risque majeur du métier de vigneron est de s’isoler. Nous avons tous besoin d’échanges. Or, la vie quotidienne du vigneron le contraint à ne pas en avoir assez. D’autre part, on oublie trop souvent qu’on fait du vin ! La gestion des urgences ne doit pas nous faire perdre de vue que l’on crée un produit qui est un moyen privilégié de rencontre entre les gens. Il y aura toujours une discussion autour de la bouteille, et il est plaisant de penser que l’on participe à cela…