Grain de Fanny
RENCONTRES VIGNERONNES
Grain de Fanny
Connaissez-vous la discrète et charmante Fanny Tisseyre ?
Vigneronne au Domaine Grain de Fanny où elle est installée depuis 2006, elle cultive la vigne, l’humilité et les belles relations autour du vin.
Comment va votre vie de vigneronne ?
Je n’arrête pas… Je viens de terminer une plantation (à laquelle je dois ajouter un espalier) et une mise en bouteille il y a 10 jours, j’achève actuellement la taille de la vigne et m’apprête à poser les phéromones contre le ver de grappe. La vigne, la cave et la vente directe… Je m’occupe d’absolument tout, et toute seule. C’est la diversité des tâches qui fait la richesse de ce métier. Il faut être capable de gérer la terre, les plantes et la vigne, mais également s’y connaître en marketing ou savoir parler de son histoire et de ses vins.
Que préférez-vous parmi ces nombreuses activités ?
Je préfère les vignes. Je trouve que l’on parle trop souvent directement du vin. Or il se passe plein de choses avant la dégustation... Il n’y a de vin que s’il y a de très bons raisins. Et pour cela, il faut démarrer tôt : il y a 2 ans de travail avant d’obtenir du vin. Le cœur du métier, c’est la vigne. Je ne suis donc pas sur les routes - j’ai développé l’aspect commercial autrement. Mon cœur et mes pieds sont dans les vignes.
Comment vous est venu cet amour de la vigne ?
L’amour de la vigne est familial. A 15 ans, j’ai senti quelque chose, le lien à la terre. J’ai cependant poursuivi mes études de géologie à l’université et voyagé avant de travailler à la chambre d’agriculture. Je m’occupais des dossiers technico-administratifs pour les vignerons, car j’étais curieuse de savoir comment faisaient les autres… jusqu’à ce que je fasse un choix de cœur, à 30 ans : m’installer à mon tour. Ce n’était pas la peur du travail de la vigne ou celle d’être une femme dans ce milieu qui m’avaient retenue, c’était la peur de ne pas savoir vendre. Je ne voulais pas revivre les difficultés qu’avaient connues mes parents.
Alors, satisfaite ?
Dès le premier jour, c’était juste ! Parce que j’ai les pieds dans la terre, et que c’est concret. Il s’agit de se préoccuper d’un plant et d’un bourgeon avant d’aller plus loin.
Comment travaillez-vous la vigne ?
Le domaine est en bio. Je suis engagée de manière collective. Ce qui m’intéresse est de partager avec d’autres vignerons la mise en place de nouveaux gestes. Par exemple, comme vous pouvez le voir dans cette vigne de Vermentino, les engrais verts de féveroles et vesces sont bien sortis. Auparavant, j’ai passé l’intercep pour désherber mécaniquement. Nous travaillons en commun avec l’Atelier Paysan, le Biocivam de l’Aude et Chemins Cueillants (une association minervoise). En ce moment, je m’emploie à mettre en place l’utilisation de préparations naturelles peu préoccupantes (PNPP) – des tisanes, décoctions et extraits fermentés de plantes comme l’ortie ou la fougères – afin de renforcer la vigne et l’aider à mieux résister aux maladies.
Combien d’hectares cultivez-vous ?
J’ai 6 hectares, et c’est suffisant. Je ne cherche pas à m’agrandir, mais renouvelle le vignoble en replantant tous les ans ou tous les 2 ans. Ma politique, c’est d’être à l’équilibre, autour de 40 hectolitres/hectare. Cela permet d’avoir de jolis raisins, mais sans manquer de rendement. Pour moi, c’est l’équilibre de la plante.
Prenez-vous d’autres initiatives pour l’environnement ?
Nous sommes des vignerons, des agriculteurs, presque des paysans… Donc on s’occupe du paysage. J’ai implanté 270 mètres de haies autour de cette parcelle de Vermentino ainsi qu’une haie d’amandiers un peu plus loin, pour contribuer à la biodiversité. Pour moi, il n’est pas normal qu’on soit en monoculture. Donc je diversifie dès que possible avec des bosquets d’arbres. J’ai aussi 2 parcelles en pleine plaine, autour desquelles j’ai créé une haie basse pour ne pas gêner le voisin. Et près de cet azérolier, là, j’ai installé un nichoir pour les chouettes chevêche, les rolliers d’Europe, les mésanges… Ce sont mes petits gestes pour préserver le vivant. Mon essentiel, c’est de prendre soin et rendre beau.
Comment sont vos vins ?
Je fais des vins faciles, sur le fruit, chouettes et accessibles. Je ne suis absolument pas dans l’élitisme, cela ne me correspond pas. Mes vins sont axés sur le plaisir et la gourmandise. Ce sont des vins avec lesquels on se régale. Ils sont à mon image… J’y tiens beaucoup. Même au niveau des prix, on reste dans l’humilité. Il y a du cœur dans mes vins.
Quelle est votre gamme ?
- En blanc, je fais un 100% Vermentino – Oh la gourmande - car ce cépage méditerranéen me permet de bien doser aromatique et fraîcheur selon les années.
- Mon rosé - C’est l’été - à base de Grenache noir, possède une belle aromatique car je choisis des raisins bien charnus. Pour boire la vie en rose J
- Ensuite, j’ai 4 rouges différents mais tous basés sur le Carignan et le Grenache. Mon cœur, ce sont les vignes, et surtout celles de Carignan, un cépage trop décrié à mon sens…
- Je fais un 100% Carignan – Le Carignan apprivoisé – qui est une curiosité… Parce que j’aime faire découvrir ce cépage aux gens.
- L’égrappé à picorer contient 50% de Carignan et 50% de Grenache, travaillés en vinification traditionnelle. Un régal pour l’apéro !
- Le Rouge à palabrer contient les mêmes cépages mais issus d’autres parcelles et travaillés en macération carbonique cette fois. Sa complexité aromatique est un peu plus prononcée mais il s’agit toujours d’un vin très gourmand.
- Enfin, Au fil du vent contient une pointe de Syrah en plus. J’ai longtemps été « anti-Syrah ». Disons qu’il est très bien dans la vallée du Rhône ! Mais un ami m’a convaincue de tenter le coup et je reconnais qu’il amène quelque chose… J’essaie de mettre de l’eau dans mon vin J
Où vendez-vous vos bouteilles ?
Je les vends loin, en Allemagne. Pas ici dans les Corbières, car nous sommes tous des vignerons très sympas à faire de très bons vins J .
Pourquoi l’Allemagne ?
J’y avais 2 ou 3 contacts, suis partie faire des dégustations et me suis créée au fil des ans un fichier de clients particuliers. J’aime ces moments car j’ai un lien direct avec les gens. J’en reviens toujours au lien : à la terre, à la vigne et aux gens ! Je fais du vin humain. Le vin est un alibi pour être en lien avec les gens. Grâce à ce réseau allemand, et l’aide de ma bonne copine Annette (allemande), j’ai surmonté ma peur du commercial. J’assure la dégustation en Allemand. Mes cours de collège et lycée m’ont bien servi… En complément, je participe à une foire aux vins en Charente Maritime, je passe par des cavistes, je travaille avec un importateur en Belgique et une distributrice dans les Landes, je vends un peu au caveau et grâce à mon gîte.
Votre gîte est-il ouvert toute l’année ?
Habituellement oui mais je viens de le fermer à la réservation parce que j’attends une famille ukrainienne. Là, il ne faut rien regarder… Faut y aller !
Le mot de la fin ?
Regardez comme les vignes sont fleuries. Là, ça me va. Simplicité, lien humain, humilité. Pas plus que ça…